The Horseradish Story: Comment Barks a doté les Ducks d’une conscience

Publié le 5 Septembre 2010


La densité d’un personnage de fiction se mesure à la profondeur de ses sentiments, aux tourments auxquels il est soumis, aux doutes dont il est la proie, à sa conscience.

 

Pour la plupart des gens, les personnages de BD Disney ne peuvent être des personnages profonds. En effet, comment en serait-il ainsi ? Ces personnages ont été créés pour nous faire rire ou sourire et la plupart du temps ce réflexe physique ne provient que de situations cocasses parfois triviales ou tellement farfelues qu’elles sont éloignées de tout ce que nous ressentons en temps qu’être humain.

 

Les premiers cartoons au cinéma et les gags journaliers paraissant dans les quotidiens du monde entier ont popularisé les héros Disney en tant que gagmen.

 

Exemple : Gag YD 52-05-20 de Bob Karp et Al Taliaferro du 20 mai 1952

 

YD-52-05-20.jpg

 (strip issu d'un quotidien tunisien non identifié de 1953)

 

Ce gag, est comique et le lecteur sourit de bon cœur car il ne plaint pas Donald. La probabilité que cette mésaventure arrive dans la vraie vie est faible (d’où l’effet de surprise comique) et par ailleurs le lecteur sait bien que, comme tout héros comique, Donald n’aura pas de séquelles de ses blessures. Le lecteur ne s’identifie donc pas à Donald et reste observateur de la scène qui se déroule devant ses yeux.

 

Carl Barks, en créant des récits plus longs (contenant parfois plus de 20 pages) a fait passer les Canards du monde du gag à celui de l’aventure. Dès lors, ses héros devaient s‘étoffer un peu pour permettre au lecteur de s’identifier à eux et d’être embarqué avec eux dans leurs aventures. Bref, les héros de Barks devaient réagir davantage comme des humains que comme des toons. En trois mots : avoir une conscience !

 

On peut trouver plusieurs exemples significatifs mais, à mon avis, l’exemple le plus frappant de la conscience qui anime les personnages de Barks se trouve dans l’histoire Arnach Mc Chicane / The Horseradish Story (W OS  495-02) datant de 1953.

 

Rappelons brièvement cette histoire : Un escroc, Mc Chicane, a fait reconnaître par un juge que Picsou doit lui remettre toute sa fortune car un des ancêtres du multi-milliardaire, nommé Kenneth Mc Picsou, n’a pas rempli le contrat qui le liait à l’ancêtre de cet escroc : livrer une caisse de raifort en Jamaïque. (On apprendra plus tard que l’ancêtre de Mc Chicane avait saboté le bateau de Kenneth Mc Picsou pour que ce dernier ne puisse pas honorer son contrat). Picsou peut éviter de perdre tout son argent s’il parvient, sous trente jours, à livrer à destination cette fameuse caisse de raifort qui gît à de nombreux mètres sous l’eau, quelque part dans l’océan, dans l’épave du bateau de son ancêtre.

 

Picsou accompagné de Donald et ses neveux parvient à localiser le bateau, à récupérer la caisse et vogue vers la Jamaïque. Pari gagné ? Pas encore… Mc Chicane essaye de se débarrasser des Canards pour s’emparer de la fortune de Picsou.

 

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(cases issues de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

 

Nos héros réchappent de cette attaque en construisant un radeau de fortune et il semble clair, alors, que Picsou n’atteindra jamais la Jamaïque dans le délai imparti et qu’il va perdre toute sa fortune. La colère envahit Picsou.

 

HorseRadish19-3-.jpg

(case issue de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

 

C’est alors que, suite à une bagarre avec son complice, Mc Chicane tombé à l’eau demande secours aux Canards. Quelle attitude adopter ? Lui pardonner et lui tendre la main ? Le laisser mourir, car après tout il a voulu éliminer les Canards ?

 

HorseRadish19-5-.jpg

(case issue de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

 

Donald, lui, ne se pose pas de question. Il fait preuve d’une grandeur d’âme assez peu commune chez les héros comiques car n’écoutant que son bon cœur, il se porte spontanément à son secours. Mais, il ne peut ramener Mc Chicane sur le radeau à lui tout seul. Il demande donc de l’aide à Picsou.

 

HorseRadish19-6-19-7.jpg

(cases issues de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

 

Picsou exprime alors le dilemme qui se présente à lui :  s’il sauve Mc Chicane il garde son âme mais perd tout son argent, s’il le laisse mourir, il perd son âme mais sauve sa fortune !

 HorseRadish19-8-20-1.jpg

(cases issues de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

 

Quel dilemme plus grand pouvait-il affronter ? En effet la fortune de Picsou c’est à la fois toute sa vie passée et sa raison de vivre actuelle. S’il sauve celui qui s'emparera de sa fortune, il sauve une vie en perdant la sienne. S’il ne le sauve pas, il aura une mort sur la conscience que sa fortune lui rappellera éternellement. Ce dilemme Cornélien assure à l’histoire son pic d’intensité tragique et donne au personnage de Picsou une réelle profondeur. Son hésitation montre que le choix n’est pas évident. Elle interpelle le lecteur. Qu’aurait-il choisi, lui, à la place de Picsou ? Cette interrogation, nous l’avons irrémédiablement et, en toute honnêteté, la réponse n’est pas si simple...

 

Comme une voix divine rappelant à Picsou l’imminence de la tragédie, Donald, dans une ultime tentative, presse son oncle de se décider. Par là même il fait reposer tout le poids de la décision sur Picsou et s’en remet à lui. Picsou doit choisir rapidement sinon les éléments choisiront à sa place et notre héros ne maîtrisera alors plus son destin. Un héros qui ne maîtrise plus son destin, qui n’est plus capable d’influence le cours de l’histoire n’est plus un héros. Ne pas choisir, c’est donc mourir aussi.

  

Le choix intervient, évident dans une BD Disney empreinte d’une morale humaniste. Picsou va aider Donald à sauver Mc Chicane, ce qui entraînera des péripéties avant un dénouement inattendu.

 

HorseRadish20-2.jpg

(case issue de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

 

Mais ce choix n’est pas franchement assumé par Picsou. Par coquetterie[1], peut-être, il met son choix sur le compte de sa vieillesse qui le pousserait à être plus sensible aux aspects humains.

En réalité, le lecteur n’est pas dupe : c’est le sens moral et la conscience de Picsou qui ont parlé. Et le message est clair : sauver une vie, même celle d’un escroc vaut mieux que de sauver son argent. Paraphrasant Rabelais, nous pourrions dire « Richesse sans conscience n’est que ruine de l’âme » C’est probablement une maxime qui correspond bien à la vision qu'avait Carl Barks du capitalisme.

 

C'est grâce à de telles histoires qu'il a pu faire des Ducks de véritables héros en montrant que ces canards colériques n'étaient pas uniquement des clowns grimaçant sur papier glaçé mais qu'ils pouvaient également être des personnages profonds dotés de sentiments terriblements humains. 



[1] Cette coquetterie de Picsou rappellera sans doute à certains celle de l’histoire W OS  456-02 Back to the Klondike/ Retour au Klondike où Picsou laisse Goldie retrouver l’or qu’il avait caché tout en prétextant que s’il n’a pas retrouvé la cachette lui-même c’est parce qu’il n’a pas pris ses pilules pour le mémoire. Donald démontre à la fin de l’histoire que Picsou a bien pris ses pilules pour la mémoire. Picsou a donc volontairement laisser Goldie gagner.

 

Rédigé par Pmspg

Publié dans #Histoires Disney

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B
<br /> Je l'avais lue cette histoire dans le livre "Tout ce qui brille n'est pas or" et elle m'avait marqué. Bravo pour la belle analyse que vous avez faite !<br />
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Y
<br /> <br /> Je me souviens de cette histoire, elle fut également publiée dans un Picsou Magazine "spécial aventures sur les mers" en 1988 il me semble. Le vilain se nommait alors Saturnin Lécumeur et Picsou<br /> devait livrer une caisse de moutarde dans l'ile de Montaunez...En tous cas brillant article, merci.<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Tu aimes bien les cas de conscience Pmspg, hein? Dans "en route pour le grand nord", j'attire ton attention sur un très beau moment de BD, celui où Donald, qui n'arrive pas à trouver le sommeil<br /> après avoir joué son tour pendable à Gontran, s'interrompt au milieu de son sandwich nocturne lorsqu'il réalise qu'il vient peut-être d'envoyer son cousin à la mort: deux vignettes successives ,<br /> sous deux angles différents, sans bulle, sans effet, où Donald, dos au mur, parait figé dans un interminable moment de stupeur.<br /> <br /> <br /> et excellente année à toi et à tous.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Merci Brice,<br /> <br /> <br /> j'ai effectivement remarqué ce passage qui m'a également bien marqué. Un autre grand moment de BD !!!<br /> <br /> <br /> Meilleurs voeux à toi !<br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
O
<br /> <br /> Aucun rapport avec le sujet, mais...<br /> <br /> <br /> Joyeux Noël & bonnes fêtes de fin d'année!<br /> <br /> <br /> :)<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Olivier, <br /> <br /> <br /> Merci pour ton petit mot.<br /> <br /> <br /> Que cette nouvelle année voie l'accomplissement des tes voeux les plus chers !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> Salut, je verrai bien En route pour le grand nord de Barks pour un prochain article. Donald, énervé par<br /> la chance de Gontran envoie celui-ci sur une fausse piste de gisement d'uranium au pôle Nord. Mais le remord l'assaillit en pensant à Gontran tout seul dans le froid, et ça, par sa faute. Il<br /> décide donc d'aller le rejoindre pour lui annoncer le canular et lui dire de rentrer.<br /> <br /> <br /> Je crois qu'il y a moyen de faire un article pas mal ;)<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Effectivement c'est un peu dans la même veine.<br /> <br /> <br /> Seul l'avenir nous dira si l'inspiration me prend...<br /> <br /> <br /> Merci pour l'idée.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> <br /> L'école italienne, réduite à de la comedia dell'arte? Hum, le débat mérite réflexion. je crois qu'il faut différencier selon les pèriodes. les premières histoires de Romano Scarpa (également<br /> scénarisées par ce dernier) correspondent assez à ce schéma, avec leur humour dévastateur et incontestablement brillant en dépit d'une psychologie à la serpe, où Donald est un (attachant)<br /> semi-débile (le mystère des écrevisses en civet, le papillon de Christophe Colomb, Donald agent secret), et jusqu'à mickey , ce qui est carrément salutaire (cf la flamme éternelle de Khaloa, où<br /> il passe son temps à gerber et se faire ridiculiser). par contre chez  Guido Martina ou rodolfo cimino (avec Cavazzano à la plume),  à mon avis, c'est plus fin (remember cette très<br /> belle histoire d'amour de donald avec la princesse d'un royaume englouti (?! titre oublié).<br /> <br /> <br /> les scénarii des italiens sont très brillants et sans doute manichéens, mais je trouve qu'ils ont aussi parfois leurs moments de psychologie car ils intègrent des cas de conscience parfois tordus<br /> (relire "piège pour le sou-fétiche d'oncle picsou", une terrifiante histoire sur les personnalités refoulées ). Et puis ils vont parfois loin dans la critique sociale (l'histoire du rubis<br /> maléfique, un véritable plaidoyer pour le management social éclairé)<br /> <br /> <br /> Putain, les mecs qui pondaient ces histoires étaient des génies.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Par comedia dell'arte (qui n'a rien de réducteur à mes yeux) je faisais effectivement allusion à une partie seulement de la production italienne. Rodolfo Cimino a su effectivement sortir Donald<br /> du rôle de souffre-douleur et en faire un personnage plus humain. (tu fais sans doute allusion à "Paperino e l'avventura sottomarina"  https://coa.inducks.org/story.php?c=I+TL++873-C )<br /> <br /> <br /> Merci de m'avoir rappelé ces titres de Cimino que vais, de ce pas, relire. C'est vrai qu'il y a du génie chez les auteurs italiens !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Merci pour ce superbe article de grande qualité, très intéressent sur l'analyse du comportement des canards et qui démontre ce que Barks voulait : une caricature des humais par les ducks ! <br /> Bravo !<br /> <br /> <br /> P.S. Il y a juste une petite faute pas méchante sur le dernier "il" de l'article, à mettre au pluriel ;)<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Merci donducky,<br /> <br /> <br /> Cette histoire m'a toujours fasciné par son côté tragique, cela fait longtemps que je souhaitais écrire dessus.<br /> <br /> <br /> Merci d'avoir signalé la faute. Elle est corrigée.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> <br /> Dans l'école italienne, les rapports entre Picsou et Donald relèvent souvent de la "comedia del'arte"; les relations sont caricaturées à l'extrême, avec un Picsou persécutant sans cesse ce pauvre<br /> Donald. D'ailleurs, dans les vieilles BD italiennes, il est fréquent que les histoires se finissent sur l'image de Picsou poursuivant Donald. Picsou apparaît moins sensible certes, mais comme on<br /> le dit plus haut, ça change de la vision barksienne, et surtout "don rosalienne", qui je trouve tombe parfois dans le sentimentalisme trop forcé.<br /> <br /> <br /> Et sinon psmpg, merci! Mais je me demande si "humanisation" de nos canards favoris n'apparaît pas auparavant dans l'histoire "Pauvre vieil homme pauvre" (qui est pour moi l'histoire la plus<br /> iconique et une des plus touchantes). D'ailleurs, l'utilisation du mot "homme" au lieu de "canard" est pour moi significative de cette volonté d'humaniser les personnages.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Nijal,<br /> <br /> <br /> Je suis sur la même longueur d'onde que toi !  Only a poor old Man est pour moi, avec Back to the Klondike l'histoire qui fait le mieux comprendre les sentiments humains<br /> des canards. Ce sera peut-être l'objet d'un prochain article, merci pour l'idée. Le présent article ne souhaitait aborder que la profondeur et la densité des personnages.<br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Article fort intéressant, comme toujours !<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Merci dGé pour tes encouragements !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> <br /> Merci pour cette analyse qui ne va pas de soi, surtout pour ceux qui ne connaissent donald et picsou que par les dessins animés où ils le sont que des pantins sans âme. La référence à "Back to<br /> Klondike", tu ne pouvais pas trouver mieux: il s'agit peut-être de l'histoire de Barks la plus mélancolique et émouvante.<br /> <br /> <br /> Mais il faut avouer que l'école italienne a aussi fait énormément pour la psychologie des Ducks, en faisant souvent de picsou un être odieux, presque un méchant (ce qui nous repose de la vision<br /> un peu trop humaniste de Barks) et en donnant à Donald pour la première fois une âme complexe et tourmentée.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Brice,<br /> <br /> <br /> Merci pour ces commentaires. Je partage partiellement ton avis. L'école italienne a souvent fait de Picsou une caricature du patron tyranique exploitant ses employés. Donald y gagne parfois en<br /> roublardise. Sa double identité Donald/Fantomiald montre également une facette plus obscure au personnage.<br /> <br /> <br /> La psychologie des personnages est modifiée mais à mon avis elle est réduite à des stéréotypes. En ce sens on est plus dans le registre de la comedia del arte qui grossit les traits que dans<br /> l'épaisseur et la complexité des personnages.<br /> <br /> <br /> Tu as le droit de ne pas être d'accord...<br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> <br /> Magnifique article !<br /> <br /> <br /> Cela montre bien que les ducks ne sont pas simplement des personnages de bd ordinaires mais on pourrait presque parler de "personne". Ils ont chacun un caractère significatif.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Effectivement Mcduck et c'est ce que j'essaie de démontrer.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci pour ces encouragements.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> Tout à fait d'accord avec Adrien !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Un très bel article, même si j'aurais préféré des exemples de plusieurs histoires.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Patience Picpic... cela viendra peut-être un jour...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> Excellent article! Bravo! Une veritable recherche, presque philosophique, psychologique du moins, et un texte très interessant au demeurant!<br /> <br /> <br /> Bonne continuation!<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Merci Adrien pour ton enthousiasme.<br /> <br /> <br /> Mais n'exagérons rien, ce n'est qu'un article sur la BD !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br /> <br />