Donald l'imposteur ou l'impérialisme raconté aux enfants

Publié le 18 Mai 2007

 

 

 

Donald l’imposteur ou l'impérialisme raconté aux enfants d’Armand Mattelart et Ariel Dorfman publié en France en 1976 aux Editions Alain Moreau dans la collection Textualité est la traduction de « Para leer al Pato Donald » publié au Chili en 1971. Cet ouvrage traduit à travers le monde se veut un pamphlet contre l’invasion culturelle que représente Disney et plus particulièrement les bandes dessinées Disney. Il a été réédité en version originale en Argentine en 2002.

 

 

Un an après l’élection du président Allende en 1970, la ferveur révolutionnaire est intacte et l’idéologie marxiste est fortement présente dans la population chilienne. Ariel Dorfman, voit dans les BD Disney une industrie de mass media qui permet aux Etats-Unis de diffuser leur vision du monde et l’idéologie capitaliste. Il fait à partir d’un échantillon d’une centaine de magazines (50 Disnelandia, 14 Tribilin, 19 Tio Rico et 17 Fantasias) une analyse des relations enfants/adultes, oppresseurs/opprimés et envahisseurs/autochtones dans les BD Disney.

 

 

Si l’analyse présentée a le mérite de porter un regard « nouveau » (à l'époque) sur la BD Disney, il me semble nécessaire de relever quelques points critiquables.  

 

 

 

A la lecture du livre, on pourrait penser que Walt Disney était responsable de toutes les BD. Or, même si la signature « Walt Disney » apparaît sur chaque BD, on sait qu’il n’a presque jamais travaillé sur des histoires,  le nom Walt Disney étant plus une marque qu’un nom d’auteur. A travers des interviews de Carl Barks, on sait également que Walt Disney lui-même prêtait peu d’attention aux comics.

 

Mais même si l’on prend Walt Disney au sens de la société Disney, on sait qu’elle octroie des licences et ne contrôle pas directement les productions de BD. De plus, comme souligné dans le livre, une bonne part de la production est réalisée en dehors des Etats-Unis (Europe, Amérique du Sud). En ce sens, la généralisation du discours ramenant toutes les BD à une origine unique ne saurait être probante. Il est navrant, également de passer à travers le fait que des centaines de dessinateurs et scénaristes à travers le monde ont créé des BD estampillées Disney, avec leur style, leur humour, leurs références. De même, à l’époque où le livre est publié, les BD Disney existent déjà depuis 40 ans, elles ont donc forcément évolué en fonction de leur époque, et ne sont pas monolithiques.

   

Bref, l’étude semble avoir été menée par des personnes qui n’étaient pas spécialisées dans les BD Disney et qui n’ont pas forcément étendu leur domaine d’enquête au delà du Chili.

 

Un problème de base particulier : l’étude a été menée sur des histoires traduites de l’anglais en espagnol. Dans la version française, une traduction maison a été faite depuis la version espagnole. Bref, pour rester dans la thèse de la volonté d’hégémonie de Disney, il aurait été plus percutant de prendre en compte les textes des versions originales afin de mieux cerner les intentions. Le remodelage des textes à la sauce chilienne de cette époque a pu induire des allusions dans les textes traduits qui n’étaient pas présentes dans les versions originales.

 

    

Au niveau des thèmes développés, le thème de l’absence de relations filiales mérite un détour. Certes, il y a peu de pères et de mères biologique dans les BD Disney. Mais est-ce dû à une volonté perfide de déstructurer les rapports adultes / enfants ou plutôt à une volonté d’éviter de mentionner des rapports familiaux afin de permettre de sortir plus facilement du réel (n’oublions pas qu’il s’agit de Comics), d’exacerber, voire de caricaturer, les relations entre les personnages ? 

 

 

 

Avec des relations familiales plus lâches, les scénaristes sont ainsi plus libres, d’ajouter ou de retirer des personnages d’une histoire à l’autre sans avoir la contrainte d’expliquer pourquoi ils ne sont pas présents.

 

Les neveux confiés à Donald, par exemple, sont apparus pour renouveler les gags de ce personnage. Comme il n’était pas père, il était amusant de voir comment il se débrouillerait avec des gamins. N’étant pas les siens, il fallait qu’il ait une bonne raison pour les garder, on en trouva une (voir article sur l’arrivée des neveux dans la vie de Donald) : Faire de Donald un oncle !

 

 

 

Les neveux de Donald ont souvent l’air plus adultes que lui. L’inversion du rapport adulte-enfant est chez Disney et ailleurs un des ressorts du comique. Y voir un message disant aux enfants qu’ils valent mieux que les adultes, que le monde des adultes est fou et qu’il vaut mieux qu’ils restent des enfants  n’est pas sérieux.
 

D’une façon générale, dans l’exposé de ce livre, les BD sont trop prises au premier degré, comme s’il s’agissait d’œuvre littéraires ou d’essais politiques. Dans les BD Disney, n’oublions pas que tous les personnages sont des caricatures, comme dans les farces classiques. Tout ce qu’ils disent n’est pas forcément la pensée de leur auteur. Souvent les auteurs mettent dans la bouche des personnages l’inverse de ce qu’ils pensent de façon à le dénoncer. Prendre au premier degré des remarques d’humour est la principale faiblesse de la démonstration des auteurs. Ils ne prennent pas assez de recul avec le sujet étudié et cela les mène à des conclusions d’une portée plus faible, car biaisée par une vue partielle (et partiale) du sujet.

 

 

 

 

  

Un point d’accord tout de même : la faible représentation du travail. Beaucoup d’idées se transforment en produit instantanément, comme si le travail de transformation était automatique et ne posait aucun problème. On voit parfois des usines, mais peu d’employés.

Doit en en déduire qu’il y a une volonté d’occulter la pénibilité du gain de l’argent et de vanter l’argent facile ?

 

 

A mon sens, il s’agit davantage de raccourcis narratifs et de la méconnaissance du monde de l’entreprise qu’ont les dessinateurs et scénaristes. Il est plus facile de représenter le secteur marchand car chacun est en contact direct avec lui que de représenter un milieu industriel dont peu de gens savent comment il fonctionne.

 

 

 

On peut également s’accorder avec Dorfman et Mattelart que les personnages Disney (Grand-Mère Donald mise à part) sont plus souvent montrés en train de consommer que de travailler.

Mais le travail est-il aussi intéressant à narrer que des aventures mystérieuses au bout du monde ? Une BD, sert à se divertir, à sortir de l’ordinaire. Y parler de consommation est sans doute plus porteur de rêve que d’y montrer la réalité des rapports sociaux.

 

 

Peut-on dire que les BD Disney font l’apologie de la société des loisirs ? Voyages au bout du monde, fêtes foraines, télévision sont effectivement très présentes. Mais n’est-ce pas davantage le propre reflet de la société qui est montré dans ces bandes dessinées.

 

A propos de la soif d’or d’Oncle Picou, les auteurs argumentent également sur l’or « fétiche ».

 

Une fois de plus, par manque de recul, ils oublient que Picsou est une parodie de capitaliste et que son amour immodéré pour l’argent est bien ce qui fait rire les lecteurs.

 

A propos de l’histoire de la Lune de 24 carats, l’interprétation donnée de la morale de l’histoire est un parfait exemple de ce que les auteurs ont manqué. Picsou « atterrit » sur une planète toute en or mais aride, dont il veut prendre possession. Son propriétaire,  un riche Vénusien la lui échange contre un peu de terre. Ce dernier, grâce à un attracteur magnétique fait grandir cette poignée de terre jusqu’à ce qu’elle devienne une planète avec continents et océans sur laquelle il monte pour rejoindre sa propre planète. Le Vénusien est heureux car il se croyait riche d’or, mais il était pauvre en réalité car il ne pouvait pas vivre sur une planète aride. Picsou réalise que dans cet échange il n’a pas forcément fait, en dépit des apparences, une bonne affaire.

 

 

 

Dans une vision très matérialiste, les auteurs du livre critiquent la spoliation de la richesse du Vénusien par Picsou. La morale de l’histoire est tout autre : la vraie richesse c’est la vie et non pas l’or !

 


Dernier point évoqué ici (mais le livre est bien plus riche), le fait que les canards n’apprennent rien au fil des aventures.

 

Pour Dorfmann et Mattelart, c’est une volonté de nier l’Histoire, de gommer le fait que toute action s’inscrive dans un sens historique.

 

Plus prosaïquement, les comics Disney s’adressant à un public, lecteur occasionnel et irrégulier, toutes les histoires peuvent être lues dans n’importe quel ordre. Tout nouveau lecteur doit pouvoir lire une nouvelle BD sans pour autant être obligé de connaître la totalité des épisodes précédents. La plupart des histoires ont été écrites sans penser qu’un jour cet art mineur serait l’objet d’études ou de collections.

 

Dans la BD Disney, peu d’auteurs se sont amusés à faire des références aux histoires des autres (Don Rosa excepté avec sa jeunesse de Picsou inspirée de l’œuvre de Barks). Les visions des personnages diffèrent et chaque auteur s’est créé un univers bien à lui qui pourraît être en contradiction avec l’univers d’un autre auteur.

Et les auteurs eux-mêmes ont rarement fait des références à leurs propres histoires (voir article Quand Barks fait références à ses propres histoires).

 

 

Bref, il est normal que les canards n’apprennent rien ou presque rien de leurs précédentes aventures. Apprendre de ses expérience c’est mûrir, vieillir et les héros de BD (à de rares exceptions près) ne vieillissent pas !

 

 

 

Malgré ses aspects propagandistes et ses erreurs d’appréciations, la lecture de cet ouvrage sera tout de même instructive pour tout fan de BD Disney qui recherche un peu de réflexion autour de l’univers Disney.

 

 

 

Sur le même thème :

 

Lire l’article de Harry Morgan sur cet ouvrage.

Lire des extraits du livre en VO (espagnole) sur Google Books

Trouver le livre sur amazon How to read Donald Duck

Le site d'Ariel Dorfman

 

Sur le l'analyse des BD de Carl Barks : 

Lire sur ce blog L’économie et les sciences sociales selon Picsou » de Thierry Rogel

Rédigé par Pmspg

Publié dans #Livres Albums Revues et Magazines Disney

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J
Il me semble que cet essai est (était du moins) présent à la bibliothèque du lycée Gambetta d'Arras. Je ne l'ai pas lu, mais je me suis rattrapé à l'université en matière de divagations marxistes !
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P
<br /> Julien ce livre est vraiment à lire, en espérant que vous aurez l'occasion de le lire !<br /> <br /> Pmspg<br /> <br /> <br />
F
Passionante analyse!<br /> J'essayerais de me procurer cette étude, tu as piqué ma curiosité.<br /> Plus généralement, je n'étais pas venu ici depuis un petit moment et c'est un plaisir de découvrir de nouveaux articles toujours aussi inscructifs. Ton blog incarnes un peu ce que j'attend en vain de PM, et c'est un excellent paliatif... <br />  <br /> Bonne continuation!
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P
Merci Floyd, je vais rougir !!!<br /> En fait je fais selon l'humeur du temps et selon les infos que je lis. Je me dis que si ça m'intéresse, il y a sûrement d'autres personnes qui seront intéréssées par mes sujets.<br /> De là à concurrencer Picsou Magazine... <br /> Pmspg
F
Une personne pretend rapporter les propose de l'auteur du livre. http://forums.goldenagecartoons.com/showthread.php?t=9220 Ariel D orfman lui aurait dit ceci:"during Allende's (socialist president in Chile) era, I was too extreme, we all were, but I have become very democratic in this way. I believe that freedom of speech is the main thing, specially in those things that I hate more. The american sistem grants it, but the spaces to express it are becoming more and more reduced"
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P
Merci François pour ton info et pour la découverte de cet excellent forum !<br /> Pmspg
Q
Tiens, je profite des commentaires pour vous dire combien j'apprecie votre blog et combien je suis heureux de voir enfin un site de qualité dedié à ces oeuvres.Un grand bravo et surtout bonne continuation !!
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P
Merci pour vos félicitations ! Faire partager ma passion et avoir un retour de la part d'autres passionnés est toujours un plaisir.<br />  <br /> Pmspg